Ori tahiti
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Mardi soir, dix-neuf heures. Nous sommes une vingtaine de filles en paréo et pieds nus à se geler en attendant le début du cours.
La professeure Teani, une fleur de tiaré et un chignon* sur la tête, fait monter la température en moins de dix minutes, avec un échauffement qui plonge la salle dans une atmosphère aussi humide que celles des îles.
Des squats, du cardio, des déhanchés: si vous en doutiez encore la danse tahitienne n'est PAS facile, pour ne pas dire exactement le contraire.
La moitié du temps en appui sur des cuisses censées être en béton, tout en étant attentive à la coordination: celle du haut du corps avec le bas, et surtout, très important, des unes avec les autres.
" Ce n'est pas tout de savoir bouger son popotin, il faut apprendre à danser ensemble, explique Teani, qui tient à "ses" lignes avec un système d'alternance.**
Pourquoi tu rigoles Julie ?"
Ma ligne est quelque part derrière, en train de faire tout à fait un autre chose.
Elle coupe la musique: "Je sais que ça peut paraître un peu compliqué au début, mais s'il vous plait n'oubliez pas d'alterner."
En résumé, nous sommes toutes réparties sur plusieurs rangées, la première et la troisième ligne commencent par un mouvement différent que la deuxième et la quatrième, puis on alterne.
Rien de sorcier, mais une fois lancées il est tentant de toutes réaliser le même enchainement.
Surtout avec des pas aussi similaires, du moins en apparence ! Ne pas confondre un tamau avec un ami, ou un teki avec un toma toma.
Il faut suivre la cadence en gardant les bras aériens, les doigts gracieux, dos et port de tête imperturbables pendant que les hanches dessinent un varu (un huit) ou un faarapu (cercle qui décrit une main remuant la soupe).
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Ça balance, chaloupe, remue, tourne et ondule dans tous les sens. Toujours dans la maîtrise: Teani,
tahitienne aux courbes à faire pâlir n'importe quelle danseuse orientale, nous en fait la démonstration avec une facilité déconcertante.
Le plancher tremble sur des rythmes endiablés de zouk, samba, des remix latinos ou afrobeat. Puis cela peut dévier sur un chant traditionnel lent, voire une musique qui n'a rien à voir.
"J'ai eu un petit délire avec les Backstreet Boys, j'avoue" rigole-elle.
On s'imprègne corps et esprit de la plus grande île de la Polynésie : chaque début de cours commence par un échange en tahitien.
'Ia ora na (bonjour), Maita'i roa (ça va très bien), Ua reva (on y va) ;des expressions pas si simples à retenir mais qui au fil des séances vont bien finir par rentrer nous viennent plus naturellement.
Vahiné (la femme), tatoo (dessin inscrit dans la peau), monoï (huile parfumée): on emploie dans le langage courant certains mots sans savoir qu'ils viennent initialement de Taïwan, berceau de la langue tahitienne.
Il y a cinq groupes de pas tahitiens (pour les femmes) qui se varient à l'infini, avec comme base le balancement et le roulement.
Vous avez déjà essayé de remuer uniquement le bassin avec un genou en l'air, ou encore sur la pointe des pieds ? Les plus courageuses attachent un boudin (sisi, un boudin rempli de sable bien lourd) autour de leurs tailles pour optimiser la sensation d'ondulation.
" C'est ca ! J'adore quand vous êtes ensemble, ça me fait des frissons partout." dit Teani avec un grand sourire.
Vous l'aurez compris, l'harmonie des danseuses entre elles tient un rôle fondamental. En plus d'être concentrée pour garder une posture stable et se rappeler de la chorégraphie, il faut surveiller du coin de l’œil votre voisine de droite ET de gauche. Pour vérifier qu'elles ne se fassent pas la malle partent pas loin devant, ou - encore plus pratique - loin derrière vous. Il n'est pas rare que je me retrouve dans la mauvaise ligne, d'où l'utilité de mémoriser qui est à coté.
Ori tahiti : tout le monde monde peut danser, à tout âge de la vie. La pratique de la danse n'a fait qu'évoluer au fil du temps, il y a donc différentes écoles et manière d'enseigner. Cet art autrefois réservé aux rebelles est empreint d'histoire culturelle et spirituelle en plus de revendiquer une identité.
" La technique que l'on apprend demande plus de rigueur, raconte Mélanie. Les stages proposés par l'association polynésienne sont plus freestyle, l'on danse un peu comme on le sens, pas forcément avec les talons collés au sol.
Dans tous les cas c'est la persévérance qui paie, affirme elle. J'ai commencé cette année et en assistant au cours deux fois par semaine j'ai vite progressé, c'est comme une drogue, un vrai médicament ! "
Une évidence me saute tranquillement aux yeux. Le casse-tête d'allier vols et assiduité, car la seule constance de l'aérien, c'est que ça change tout le temps.
Sans perdre totalement espoir: sous son nom de scène, Teani s'appele Julia.
*Faudra qu'on m'explique, quand j'ai cette coiffure que j'ai baptisée "au bout de ma vie" on dirait Conchita, tandis que la sienne fait penser à un nid d'oiseau délicatement posé là par hasard.
**A chaque enseignant(e) son leitmotiv, je me rappelle d'une prof de hip-hop soucieuse de notre placement en quinconce, ou encore Irène et ses isolations (garder son buste statique lorsqu'on bouge le bassin, et vice et versa). Des concepts que l'on retrouve dans de nombreuses danses.
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