Vu, entendu : Les perles qui défilent en coulisse

Dimanche matin, six heures trente. Il fait encore nuit à la station Invalides. Doudoune de survie et sommeil jusqu'aux oreilles, j'arrive à peine en retard. Ça clope déjà dehors, je reconnais le coiffeur qui va s'occuper de moi, Jérôme: « Les modèles sont à l’étage, Ellie va t’expliquer où »*

Où est-il donc cet Ellie. Ah c’est une fille en fait. Je me perds dans le théâtre pour enfin les trouver dans une salle très, très calme. Une quinzaine de filles et deux garçons qui pianotent sur leurs téléphones, lisent ou somnolent en attendant. On dirait presque un casting, si tout le monde n’était pas en jeans, baskets et air revêche - de rigueur vu l'heure indécente.

Seul un groupe de filles s'agitent de bon matin. Surement les maquilleuses, car ce sont les seules maquillées. On nous signale qu’il y a du café. Pas une ne bouge, que l'on ne me fasse pas croire que personne ici n’a besoin d’un café. Bonzai ! Deux autres m'enboitent le pas.

Après café et croissants, direction la préparation coiffure. Jérôme est très sympa : « Il n’y a que de l’eau froide pour le shampooing, ça ne te dérange pas j’espère ? »

Pas du tout, j’adore l’eau glacée de bon matin.. Il commence à me couper les cheveux, et finira sur scène en quatre minutes seulement (??), pour présenter leur nouvelle collection coiffure de l’espace. Je songe déjà à me faire greffer mon bonnet en laine sur la tête.

Je descends au stylisme, où je dois indiquer le numéro de plateau, salon de coiffure et thème.

« Parisienne chic ? Parfait, tu va pouvoir rentrer dans ça »

Elle me tend le seul pantalon du portant. Je ne m’en sors pas trop mal, pensai - je en croisant des filles en maillots de bain. Problème : je ne peux pas respirer.

Jafar, j’suis coincé.

« Ne respire pas, c’est mieux »

J’espère qu’elle plaisante. Il y a un souci avec le haut, la moitié de ma poitrine en dépasse.

Elle rigole : « C’est parce que tu l’as mis à l’envers ! »

Certaines filles sont comédiennes, elles papotent :

« Il vaut mieux vaut jouer dans un bon court métrage que dans un long métrage pourri »

« Et toi, c’est quoi ton rôle en général ? » « La pute »

La styliste qui passe : « Je vais te mettre un collier avec marqué FUCK, il est génial »

Et elle de rétorquer : « J’adore, ça ! »

On est toutes cernées malgré le maquillage, un beau bal de zombies. J’ai des paquets à la place des cils, la tentation est grande de les arracher un à un.

Les répétitions commencent, un petit monsieur piaille dans un micro.

« Une fois qu’on t’as coupé les cheveux tu poses et tu défiles des deux cotés de la scène, l’air contente, tu joues la comédie. Et là tu sors. Sors. SORS ! »

Nous, en coulisse : « Viiiiite, prends la clé !!! »

On nous a affublé de grands sacs pour raconter une histoire obscure de filles qui font du shopping.

L’agité du micro vient se planter devant moi : « N’hésites pas à t’entrainer à marcher »

Pas de problèmes, darling, on échange de chaussures ? Les miennes sont cassées. La styliste Mac Gyver me bidouille un truc pour que ça ferme.

Bientôt l’heure du show, cela fait dix heures qu’on est la. Pourquoi nous demande-on de venir si tôt ? Parce que les modèles sont en retard. Et pourquoi ce retard ? Parce qu’on sait qu’on va attendre cent - sept ans.

Une gigantesque blonde à l’accent suédois : « Est-ce qu’il y a un toilette ? »

Ouf on y va, les coiffeurs sont stressés. Mes mèches tombent par poignées. J’ai des cheveux partout et une frange qui m’empêche de voir correctement où je mets les pieds. Happy face. En sortant de scène je risque un coup d’œil dans un miroir : je viens de l’espace, ça n’est pas symétrique du tout. Je demande pourquoi à un membre du salon.

« C’est normal, c’est pour donner du mouvement » *

Jérôme me rattrape : « Reviens ici, je n’ai pas fini ». Je me disais bien aussi. Ils n’ont eu que deux minutes au lieu des quatre convenues. Un inconnu me dit que ça me va très bien. C’est pas pire, on dirait que j'ai un casque sur la tête. Ma coupe est déjà un sujet tabou. « C’est Franck Provost » me chuchote Jérôme. Ah.

On se change et monte regarder le reste du défilé dans les loges des maquilleuses. Il y a des vélos sur scène puis des transats, d’où les maillots de bains. On commente comme à Roland Garros : « Et oui il prend le cheveu énergiquement.. On peut admirer le coup de peigne franc, il abat son ciseau.. il empoigne le séchoir.. Ouiiii c’est magnifique ! »

J’ai comme envie de faire mille et un shampooings. Ça sera port du bonnet obligatoire, tout l’hiver.

*WTF

Backstage

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