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Voyages, bagages et nuages: le point de vue d'une hôtesse de l'air dans des grands oiseaux en fer.

15 May

Tu comates ?

Publié par Plume  - Catégories :  #Ciel, #Travel

Euh, commutes. Même si parfois c’est un peu pareil, je me dis.

 

C'est quoi commuter ?

 

C’est habiter ici, alors qu’on travaille là-bas. A Roissy-en-France, ou Orly-sa-mère par exemple.

 

Beaucoup d’employés de tous les secteurs font ce choix, encore plus après le covid, au nom d’une meilleure qualité de vie; tandis que les points de vie, eux, diminuent en flèche. N’avez-vous pas parfois l’impression de courir après les trains, les bus ou le prochain feu vert ?

Pour les navigants, ce sont les avions. Ça se complique quand on est déjà nous-mêmes dans un avion, celui nous reliant à la province en tant que passager. 

Mon colocataire taquin m'accueille systématiquement avec un "Hello James bond girl!" : je suis une fausse provinciale, c’est-à-dire que j’ai la possibilité de dormir à Paris la veille, et parfois au retour d’un long-courrier si je suis à bout de ma vie.

 

Et puis, il y a les warriors :

 

- Je ne sais pas comment tu fais, me dit Guillaume, ça doit te fatiguer encore plus de vivre à deux endroits. Après une rotation je prends directement un avion pour Montpellier, j’ai toujours fait ça.

 

- Au contraire, c’est ça que je trouve horrible. Quand je prends le RER c’est pénible pendant une heure mais après je dors, et à l’heure où je me réveille de ma sieste je serai au mieux dans l’avion; au pire encore à attendre en salle d’embarquement. Mais sûrement pas chez moi, je perds trop de points de vie.

 

Aaaah les fameux points de vie. Un peu comme un jeu vidéo où le héros approcherait lentement du dernier niveau - la case LIT - mais il aurait épuisé toute sa jauge d’énergie. La nuit blanche se rallonge et empiète sur la journée, au fil des heures tout devient flou, on est affaibli, bientôt je ne serai même plus en état de pousser ma valise le long de ma rue en pente, abandonnez-moi là, c’est plus la peine, je ..


 

J’imagine ce que pensent certains d’entre vous: et pourquoi pas le train ?

C’est faisable, selon les villes de province. Mais il serait trop insensé optimiste de miser son retour à la maison sur un billet de train car la seule constante de l’aviation, c’est l’imprévu. On sait plus ou moins quand on part, pas forcément quand on rentre. Il n’est pas rare que l’on atterrisse en retard, et paf adieu le train.

Tandis que pour les avions, on est basculé automatiquement sur le vol suivant.


On voyage tous en ticket standby, peu cher et surtout peu sûr car l’on occupe les places libres, s’il y en a, avec en dernier recours la possibilité d’obtenir un siège service (ou jumpseat), au bon vouloir du commandant et du nombre de strapontins disponibles.

Il y a le suspens pour aller travailler, avec parfois un réveil qui ressemble sacrément à du moyen-courrier pour monter sur le premier vol. Puis au retour, on attend jusqu’au dernier moment en porte d’embarquement façon La roue de la fortune en comptant sur les no show : les voyageurs qui ne se présentent pas, parce qu’ils ont raté leurs connections par exemple.


On croise les copains en uniforme dans les hall des terminaux. 

" Il y a vingt-six GP (gratuité partielle) pour Bordeaux et c'est complet, j’aurai mieux fait d’aller dormir à l’hôtel. " se lamente Ludivine.

Afin d’éviter les surprises il vaut mieux vérifier le remplissage: le nombre de sièges disponibles moins les ventes, plus le nombre de personnes comme nous voyageant en GP, il y a combien de jumpseat déjà sur cet avion déjà, raaa. Des calculs simples qui se compliquent au fur et à mesure des heures sans dormir.

C’est plus ou moins la galère selon les villes, à la question vitale du Quand vais je dormir ? s'ajoute celle tout aussi essentielle de Comment je vais rentrer chez moi ?

 

" A Biarritz c’est l’enfer, bien plus qu’à Montpellier ou Nantes, m’explique un steward; ne viens surtout pas t’installer là bas on est déjà trop nombreux. C’est toujours plein à cause des touristes, et les rares trajets sont effectués sur des appareils à capacité minable. Il m’est arrivé de rentrer chez moi en bus et covoiturage, je te raconte pas mon état en arrivant. "

 

Parfois plus d'une journée de perdue, tout ça pour éviter le monde et la pollution de Paname, pas d'âme ? Certains ont carrément fait le choix d’habiter à l’étranger: Montréal, Dubai, Lisbonne ou encore les DOM-TOM.

Au temps des grandes vacances de l'aviation de la pandémie ces allers-retours étaient amplement faisables.

 

La tentation est grande de retourner vivre à la capitale, après quelques épisodes décourageants. 

Peut-être cette fois où j’ai vu le dernier vol de la journée me passer - ou plutôt me rouler - sous le nez après un magnifique sprint dans le terminal deux, il est parti en avance le traître.

Ou pendant les fêtes, la grève SNCF et le trafic aérien saturé, où je me suis vue un instant passer Noël à l’aéroport.


 

Retour de la Réunion, 29 novembre. Le débarquement a une bonne cadence, compréhensible vu les onze heures de retard sur l’heure d’arrivée prévue et le nombre de correspondances loupées. 

 

" Merci, au revoir. " je souris en pensant  Débarquez, évacuez, dépêchez-vous moi aussi j’ai un avion à prendre ! Il y a encore toute une cabine, plus les chaises roulantes, et il va falloir attendre la police pour les personnes déportées.. Je jette un coup d’œil rapide à ma montre. 

Nom d’un code IATA, dans dix minutes je peux dire adieu au seul espoir de rejoindre Montpellier.

 

Je salue l’hôtesse responsable de la porte en face et remonte l’interminable allée du Boeing 777 version COI (Caraïbes Océan Indien), trois fois plus de sièges.

Ouf, j’ai le feu vert du grand chef.

 

J'embarque au passage les deux hôtesses montpellieraines : " Les filles, on met les voiles ? Je sais pas vous, mais j’ai d’autres projets que de dormir à Orly."

 

" Ah oui, quoi par exemple ? " répond l’une d’elle sans se faire prier.

 

A ton Avi(s), je pense en lui emboîtant le pas. On slalome entre les passagers sur la passerelle, aussi drôle que stressant. 

 

Je repense à ma collègue en vis-à-vis qui allait à Marignane, sereine : " Si je rate celui de dix-neuf heures, je peux toujours prendre celui de dix-neuf heures trente, ou vingt heures."

 

Une empreinte carbone terrible, proportionnelle au nombre de points de vie emmagasinés d'un coup.

 

Le ciel, les avions et la Bonne Mère.

 

Marseille, me voilà. 

 



 

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