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Voyages, bagages et nuages: le point de vue d'une hôtesse de l'air dans des grands oiseaux en fer.

08 Nov

Va voir chez les belges si j’y suis

Publié par Julie  - Catégories :  #Ciel, #Travel

Quand j’ai vu CRL sur mon roster, j’ai eu la soudaine envie de rendre mon uniforme sans même l’avoir essayé. Charleroi, la plaque tournante d’un tas de trucs illicites qui vous font passer l'envie de s’attarder dehors après dix-huit heures.

L’hôtel où nous logeons est dans une bourgade tout aussi malfamée à la sonorité de village fantôme, où même prendre un café s’avère difficile. Wander walk..

 

" On t’a envoyée ici parce que tu es francophone."

 Je parle français effectivement. Pas belge. C’est pareil d’accord, mais des fois il faut s’accrocher.

 

" Tu sais me passer deux verres rouges, un thon et des chips au sel ? Demande à l’avant s’ils ont la monnaie sur cinq euros septante-cinq et tu me dis quoi, ça va."

 

Hum, vous pouvez répéter la question ? Ah deux vins rouges, oui je peux. En fait ma mamie m'a déjà inculqué les bases des belgicismes en répétant " à tantôt ". 

 

Je n’ai (presque) jamais volé sur des avions à une allée.

" Pourquoi on appelle ça un Airbus à ton avis? Ce sont des bus volants, ils sont vieux et cassés de partout. " Merci Ahmed.

Ces avions ne sont pas tous de première fraîcheur, des années nonante comme ils disent : en descente les portes grincent comme une vieille maison en bois.

 

L’Airbus 320 est idéal pour les claustrophobes : on est deux dans le galley arrière, tandis que sur d’autres appareils on se marche dessus à six dans un espace à peine plus grand. Il vaut mieux donc bien s’entendre avec son partenaire de jumpseat.

Ce qui n’est pas difficile car ils ont du cœur, les belges. Pas les derniers pour donner un coup de main ou raconter des blagues jusqu’à l’atterrissage. Une gentillesse susceptible d'intriguer n'importe quel parisien un peu trop suspicieux. 

 

La baleine sur laquelle j’ai débuté n’a pas moins de seize issues de secours et un équipage de vingt-deux crew. Qui peut le plus peut le moins.

Nous ne sommes que quatre en cabine, ce qui implique plus de responsabilités : au moindre cas médical on est directement en plein dedans - même si je préfère encore amerrir. On ouvre parfois l’avion aux aurores en attendant dans le noir que les mécaniciens viennent illuminer tout ça avec un grand générateur de courant.

 

La compagnie qui loue nos services ne s’encombre pas avec des trucs non nécessaires sur le charriot, comme des glaçons ou couvercles de boissons que j’ai tendance à faire voler partout dans la cabine.

On sert des frites surgelées , des gaufres et couques* au chocolat. Il faut nettoyer l’avion nous-mêmes en turn round mais ça passe beaucoup mieux avec de la musique dans l’interphone, merci Ester.

 

Quelque part entre Tanger et Rotterdam, il reste plus d'une heure de vol :

" Viens on dort." me dit Laleh. Chiche. Coussins, rideaux et hublots.**

 

Il n'y a pas d’escales sur les petits courriers, mais grâce aux passagers c’est comme si on y était. Direction le Maghreb, tous les jours. Des destinations improbables et triangles infernaux. Ce n’est pas du goût de tout le monde : " Si j’avais su, j’aurai postulé pour Royal Erre Maroc ".

Il est vrai que les gens ont tendance à faire n’importe quoi prendre certaines libertés et passer outre les règles de sécurité les plus simples.

Cela reste paisible comparé à un Dubai/Karachi, ou un vol vers Ahmeda/Islama/Hydera-bad.

 

On devrait suggérer un placement libre d’entrée de jeu, cela faciliterait l’embarquement qui peut durer à peine moins longtemps que le vol. Il y a d’abord les chaises roulantes par dizaines, puis la cour des miracles fait place au Tetris impossible, avec les valises mais pas seulement (paniers et autres offrandes).

Seuls le nombre de ceintures et gilets de sauvetage enfants limite le nombre de bambins autorisés - dix-huit -, la cabine prend alors des allures de crèche aux hurlements hautes décibels. Quelques tours de chaises musicales avant de passer mille fois en cabine pour sécuriser tout ça, vite car il ne faut pas manquer LE slot de décollage.

 

Certains ne s’en sortent pas trop mal cependant :

" J’ai rencontré ma copine sur un trois secteurs Algérie, une passagère qui m’a donné son numéro à la fin du vol. Sur un Oran-Tlecem, t’imagines ? " 

Chapeau Toinou, ce n’est pas le cadre idéal pour draguer.

 

Le débarquement est chaleureux, parfois ponctué de poignées de main et tapes dans le dos. On perçoit du soulagement dans ces saluts, dû au fait que nous avons atterri sains et saufs. Fait contingent*** en pensant qu'on fait voler plus lourd que l'air.

 

Mais le choc des cultures n'est pas toujours là où on l'attend. Ces avions et leurs dirigeants viennent du froid, où la diversité ethnique n'est pas monnaie courante. Après les Emiratis puis britanniques; les lettons.

 

Un feu d'artifice de couleurs et d'humeurs quand l'Europe de l'Est se mélange aux Suds. Tout de même pas de quoi perdre le Nord car au ciel rien de nouveau : la terre défile par centaines et s'entassent sur des sièges qui laissent autant d'espace vital qu'à plusieurs dans un photomaton.

L'humanité en condensé, qui entre en ébullition passé les dix mille pieds.

Différent à chaque fois; plus beau vu d'en haut.

 

* Au final on a pas dormi, Lara est arrivée comme une fleur en imitant la chef de cabine, belle frayeur.

 

** " Babelute, tu aimes les cock au chocolat ? Rends moi mon Cécémel au lieu de jouer avec mes pieds". 

Un ange passe. J’ai du passer à côté de quelque chose,

Décodeur : Pipelette, tu aimes les pains au chocolat ? Ne m'agace pas et rends moi mon chocolat chaud."

 

*** Contingent : qui peut ne pas être, en opposition avec l'essentiel.qui ne peut pas ne pas être. (en philosophie)

 

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